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De beaux vers sinon rien

Je ne savais pas à quel point Edmond Rostand, le fameux père de « Cyrano de Bergerac », « L’Aiglon » ou encore « Chanteclerc », était si obsédé par la qualité de ses vers. Tellement même, qu’il pouvait en devenir muet, irritable ou le plus souvent, enfermé dans une effroyable angoisse. Il déchirait tous les papiers, si bien que l’on doit à son épouse et poétesse, Rosemonde Girard, la recopie de bien des vers envoyés à la poubelle !

C’est en écoutant une émission de France Culture, d’une qualité peu commune, que j’ai appris cela et bien d’autres choses sur ce grand poète de la nation, toujours désolé de ne pas arriver à la cheville du gigantesque Victor Hugo. Que dire de nous autres poètes, aujourd’hui ? Hugo est devenu un Dieu, Rostand l’a rejoint (s’il avait su !), et plus de cent ans plus tard, c’est le nivellement par le bas.

Il n’est pas rare que je me demande ce que Baudelaire penserait de la poésie aujourd’hui, ce qu’en dirait Musset, Lamartine, Gautier, Deubel, Vivien, de Noailles, Nerval…! Comme il faut de tout pour faire un monde, m’est avis que certains aimeraient le vers libre, d’autres cracheraient dessus. Il y a des puristes de nos jours, pour eux, le décalage est tel qu’ils en sont devenus passéites.
Je me prends à rêver, à m’imaginer trébucher dans le temps et soudain, me voici assise en face de Musset, qui d’un œil rond, écoute ce que je lui rapporte. Soit il adorerait cette dégénérescence culturelle, soit il l’aurait en horreur.

Pour ma part, j’écris en vers libres, et à vrai dire, je n’ai appris que très récemment que la poésie ne s’écrivait pas autrement qu’en pieds, à l’origine. J’ai découvert la poésie à l’adolescence, via le vers libre, et quand je me suis naturellement penché sur les grands maîtres, je n’ai pas cherché à comprendre leurs techniques, je lisais, je ressentais, je m’envolais, j’écrivais à mon tour. C’est tout. Quand on me parlait d’alexandrins à l’école, c’était pour moi une sorte d’excentricité, et pardonnez-moi, je vous en prie, de la masturbation de la rhétorique. Avec le temps, je n’attribuais pas cette façon d’écrire à tous les poètes, vraiment je n’ai jamais compté les syllabes ! Je me disais que c’était une sorte de « sudoku » de la langue française que certains poètes adoptaient, qui en effet donnait un joli effet. Et puis… j’ai étudié.
C’est Luc Loiseaux qui m’a mise sur le chemin du « Petit traité de poésie française », du poète de Banville. Il y sacre Victor Hugo, bien sûr, et se moque de comique façon de Nicolas Boileau, que j’aime pourtant bien. Au début, j’ai bien compris la nécessité d’offrir des pieds aux vers, le rythme que cela donnait, la beauté qui s’en dégageait. Puis, les chapitres s’enchaînant, une règle s’ajoute à une autre, jusqu’à la nausée. J’ai fait quelques essais maladroits et, fait troublant, j’ai senti ma poésie se ternir, perdre de sa substance, tout en notant que cela semblait tout de même trier un peu le grain de l’ivraie. C’est moins facile, on réfléchit plus. Il m’arrive donc aujourd’hui de construire quelques vers en usant de ces règles, pour m’amuser, un peu comme certains feraient des mots croisés. Cela me détend, mais ne m’emporte pas, ce sont pour moi des études dont je conserve la majorité aux brouillons de mon carnet.

Orabela m’assiste dans l’étude de la prosodie avec Théodore de Banville et son « Traité de poésie française ».

Le vers libre, lui, m’emporte. C’est une valse que je danse avec les mots, des heures d’enivrement. Je n’arrive pas à considérer que cette construction ne soit pas considérée comme de la poésie par les puristes, même si je comprends parfaitement qu’on pourrait le penser. Peut-être est-ce parce qu’au moins je rime, en rimes croisées ou embrassées, et que cela me rend « légitime » ? Car lorsque je lis la poésie mise en avant ces dernières années, là je sens en moi une critique monter. Et je m’en veux. Assurément, je pense sincèrement que la poésie est avant tout un état d’être, qu’elle prend toutes les formes qu’elle souhaite, et que les règles de Banville l’alourdie comme la neige sur les branches des sapins. C’est magnifique, rythmé, d’une autre dimension, mais finalement pris dans une sorte d’immobilisme qui n’accorde aucune extravagance. Pour de Banville, il faut suivre le sentier : les sous-bois sont pour les incultes ! Il y a l’extrême inverse, selon moi : si l’on quitte totalement ce sentier, le vers devient fou, il est « trop libre », sans rimes, sans ponctuation ni majuscules, ah ! là, il me paraît comme une nuée de moucherons sous le soleil, sans harmonie, même si j’en comprends l’utilité.

Finalement, je pense que l’on peut se sentir légitime si le vers est beau. Tout n’est que question de préférence, car il faut de tout pour faire un monde, nous le savons bien. Mais je crois qu’il n’y a plus de poètes qui soient autant angoissés par leur production, au point de s’en rendre malade, asocial, d’en oublier leurs responsabilités des affaires courantes. Je crois bien que nous sommes dans un tout autre monde, que la race des poètes se construit avec l’époque, créant des familles et sous-familles impossibles à classer, selon les règles, les styles, les écoles… Ah, et puis ces réseaux sociaux, encore, qui déforme la structure pour la faire rentrer dans des cadres : images, vidéos courtes, limite de nombres de caractères, etc. Comment la structure d’un poème ne peut pas en pâtir ? Les poètes les plus en vogue en ce moment, ce sont bien les poètes des réseaux sociaux. Ils se sont adaptés, à la forme et aux thèmes de la société. Mais… n’est-ce pas ce que nos maîtres ont fait ?!
La Fontaine écrivait-il comme Ronsard ? Nerval écrivait-il comme La Fontaine ? Desnos écrivait-il comme Nerval ? etc. La poésie a évolué, mais le vers, lui, doit suivre sa mission originelle : être beau.
Et la beauté est subjective selon le regard… Tout est une question de perspective.

Ce qui compte, en effet, c’est faire de beaux vers ou de ne pas en faire. Que l’on use de règles ou non. D’ailleurs, je vais vous faire une confidence, j’en ai une que je m’impose depuis deux ou trois ans maintenant et qui me fut inspirée par Gabriel Leroy : « Un vers doit se suffire à lui-même ». Cette simple phrase fut une révélation pour moi. Cela a entièrement corrigé ma façon de composer un poème, car chaque vers, prit seul, se doit d’être excellent. Il m’est arrivé d’aller vers la facilité et d’utiliser des vers de transition ou d’extension, si je puis dire. Seul, rien ne s’en dégageait, c’était une phrase banale et non un vers. Depuis, je fais attention à respecter cela, quitte à devoir tout recommencer, et je trouve que le poème n’en est que plus savoureux.


Image de couverture : « Débauche poétique » Lucy Dayrone

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